INTERVIEW D'AHMED MADANI

Comment parleriez-vous aux Fontenaysiens de votre démarche théâtrale ?

Ahmed Madani : Je suis engagé sur un projet qui s’appelle Face à leur destin, où je rencontre de jeunes habitants, hommes et femmes issus des quartiers populaires. Je mène un dialogue avec eux sur leur vision du monde, sur leur rapport à l’autre, sur les projections qu’ils ont sur l’avenir, sur la mise en perspective de leur mémoire familiale avec la grande histoire nationale… Je les interpelle, on dialogue, et à partir de ces échanges, j’écris des pièces qui mettent un peu plus en lumière ce que l’on éprouve quand on appartient à ces territoires quand on est jeune.

En quoi consiste votre résidence à Fontenay-sous-Bois ?

A. M. : Je suis devenu artiste associé, ça veut dire un artiste présent sur le territoire, qui propose ses oeuvres au public de Fontenay-sous-Bois, qui prend des temps de résidences de création et qui rencontre également les habitants de cette ville, soit après les représentations, soit au cours de stages que je dirige, ou bien de rencontres avec les élèves dans les établissements scolaires. Il s’agit d’une immersion dans la ville qui me permet d’avoir une meilleure compréhension de ce que c’est d’habiter dans une cité de la proche banlieue où il y a une forte mixité, où il y a des mélanges de personnes qui sont de milieux sociaux différents. La question qui m’intéresse c’est : « comment arrive-t-on à vivre ensemble et à partager quelque chose sur cette commune ? »

Qu’est-ce que vous avez découvert dans cette ville et au contact de ses habitants ?

A. M. :Il y a un mélange suivant les quartiers, avec des zones résidentielles, des zones pavillonnaires, des endroits d’habitat social… Et les populations se croisent. Il y a quelque chose qui fait que les gens, même s’ils ne se fréquentent pas, développent un équilibre et un plaisir d’habiter ensemble. C’est une ville qui appartient à la fois aux gens « gentrifiés » et à ceux des couches populaires. C’est intéressant du point de vue de la démographie et de l’espace. Mon prochain projet sera une immersion dans cette ville, je vais essayer de dialoguer avec des enfants… ça va être un matériau très dense et très riche à transformer en matière poétique, esthétique, artistique et théâtrale.

Pouvez-vous nous parler du projet Pas sages ! qui se déroulera durant toute la saison ?

A. M. : Les enfants sont des personnes à part entière qui, dans quelques années vont devenir des adultes, et auront la charge du monde. Donc ça m’intéresse aujourd’hui de les écouter me parler de l’endroit où ils vivent. Pendant les trois derniers mois, j’ai rencontré plus de soixante-dix enfants qui venaient des différents territoires de la ville, d’âges, d’histoires et de cultures différents. À chaque fois, je les questionnais pendant un temps de partage. C’était très simple et il y avait assez peu de jeux de théâtre. Mon objectif était d’abord de savoir qui ils étaient, qu’est-ce qu’ils avaient à me raconter, afin de constituer un groupe final entre 12 et 14 jeunes. Ils ont entre 7 et 14 ans. Ce sont des jeunes très volontaires. J’en ai rencontré beaucoup qui étaient passionnants mais j’ai dû trancher et faire des équilibres afin que tous les quartiers soient représentés ainsi qu’une parité.

Le matériau de ce travail ce sont vraiment les enfants, leur histoire et leur singularité. La question sera : c’est quoi un enfant en 2021, dans une ville qui s’appelle Fontenay-sous-Bois et comment vit-on son enfance dans cette ville ? Est-ce que c’est différent d’ailleurs ? En quoi je suis dans ma singularité de Fontenaysien et en même temps, dans mon universalité d’enfant ? On va procéder par discussions ensemble et on va créer quelque chose dont je n’ai pas la moindre idée aujourd’hui parce que je ne connais pas encore suffisamment les enfants. Mes collaborateurs vont intervenir : un vidéaste, le créateur sonore… Il y aura toutes les phases qui accompagnent habituellement la création de mes spectacles. Ce sera une création d’une même facture que ce que je fais habituellement, pas un spectacle d’animation. L’idée c’est d’essayer de mettre en évidence une parole qui est celle des enfants et que l’on entend peu. Pendant une semaine, ils joueront la pièce devant le public, dans le cadre de la programmation exactement comme un autre spectacle.

C’est un projet qui, je l’espère, va en initier d’autres sur d’autres territoires, d’autres villes où l’on développera la même méthode de travail, et peut-être que dans 3-4 ans on verra une oeuvre qui sera diffusée en dehors des murs des villes…

Si vous deviez caractériser en un mot la prochaine saison de résidence de la compagnie ?

A. M. : L’immersion !